Défaut de coopération avec la CNIL : un risque opérationnel pour les entreprises et cabinets d'Avocats
La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) a haussé le ton en matière de sanctions, notamment via l'utilisation de sa procédure simplifiée. Sur les seize nouvelles sanctions prononcées récemment et publiées le 13 octobre 2025, représentant un montant cumulé d'amendes de 108 000 euros, une proportion importante – dix sanctions sur seize – a été prononcée spécifiquement pour défaut de coopération avec l’autorité de contrôle.
Ce chiffre révèle que le simple fait de ne pas répondre aux sollicitations de la CNIL est devenu une voie rapide vers la sanction. Cet article propose une analyse pratique de cette situation et des opportunités qu’elle représente pour la mise en conformité des entreprises et l’expertise des cabinets d’avocats.
1. Le manquement à la coopération : Un Obstacle à la Mission de la CNIL
Les sanctions simplifiées de la CNIL portent sur des manquements variés, allant de l’usage excessif de la vidéosurveillance (par exemple, filmer les locaux syndicaux ou les élèves pendant le petit-déjeuner) à la prospection commerciale électronique sans consentement valable.


10 déc. 2024
Cependant, le défaut de coopération est une catégorie de manquement particulièrement préoccupante car elle entrave directement la capacité de l'autorité à exercer ses missions.
Le cadre légal du défaut de coopération
Les organismes qui ont été sanctionnés (incluant des avocats, des médecins et diverses sociétés) n’ont pas répondu aux demandes de la CNIL formulées dans le cadre de l’instruction de plaintes ou des suites de contrôles réalisés.
Ce défaut de réponse, même après plusieurs interventions de la CNIL, constitue un manquement formel à l’article 18 de la loi Informatique et Libertés.
Que dit l'Article 18 LIL ?
Cet article impose aux organismes une obligation positive de coopération, stipulant qu'ils ne peuvent s’opposer à l’action de la CNIL et doivent prendre toutes mesures utiles pour faciliter sa tâche.
Cette obligation fait écho aux pouvoirs d'enquête et d'audit définis à l'Article 58 du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). Pour la CNIL, si l'organisme refuse de fournir les informations nécessaires pour déterminer s'il y a eu, par exemple, manquement au principe de minimisation des données (article 5.1.c du RGPD), elle est en droit de le sanctionner pour non-coopération, indépendamment du manquement initial.
L'article 18 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés dispose en effet :
Les membres du Gouvernement, autorités publiques, dirigeants d'entreprises publiques ou privées, responsables de groupements divers et plus généralement les détenteurs ou utilisateurs de traitements ou de fichiers de données à caractère personnel ne peuvent s'opposer à l'action de la Commission nationale de l'informatique et des libertés ou de ses membres et doivent au contraire prendre toutes mesures utiles afin de faciliter sa tâche.
Sauf dans les cas où elles sont astreintes au secret professionnel, les personnes interrogées dans le cadre des vérifications faites par la commission en application du g du 2° du I de l'article 8 sont tenues de fournir les renseignements demandés par celle-ci pour l'exercice de ses missions.
Par dérogation au deuxième alinéa du présent article, le secret professionnel ne fait pas obstacle à la communication à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, par les opérateurs mentionnés au 15° de l'article L. 32 du code des postes et des communications électroniques, de l'identité de la personne physique ou morale affectataire d'un numéro du plan de numérotation ou, par les opérateurs mentionnés aux 1 et 2 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, de l'identité des responsables de traitement destinataires de leurs services.
2. Analyse des sanctions : pratique et enjeux opérationnels
Le fait que 10 sanctions sur 16 concernent ce manquement met en lumière une réalité : la CNIL utilise la non-coopération comme une sanction rapide et efficace, souvent lorsque le manquement initial est simple (comme l'exercice des droits d'accès ou d'opposition).
Pour les entreprises : prévention et gestion du risque
Le risque lié au défaut de coopération est désormais opérationnel et immédiat :
1. Risque d'amende « automatique » : le manquement à l’Article 18 LIL est une violation de procédure facilement établie. Même si l'entreprise n'est pas fautive sur le fond (par exemple, sur la légalité de sa vidéosurveillance ou de sa prospection commerciale), le fait de ne pas répondre aux sollicitations de l'autorité est une faute en soi.
2. Implications pour la Prospection Commerciale : les entreprises sanctionnées pour prospection commerciale sans consentement valable doivent non seulement revoir la conception de leurs formulaires (pour s'assurer que le consentement est libre et valide, sans induire en erreur les participants à des jeux-concours), mais elles doivent aussi être prêtes à justifier ces pratiques en cas de plainte. Le défaut de coopération aggrave alors le risque lié au manquement initial (comme le non-respect de l'Article L. 34-5 du code des postes et télécommunications).
3. Mise en place de procédures de péponse : les entreprises, en particulier celles gérant un volume important de données ou d'activités à risque (vidéosurveillance, RH, marketing), doivent impérativement désigner un responsable (souvent le DPO ou une équipe juridique) chargé de centraliser et de répondre dans les délais impartis à toute intervention de la CNIL (plaintes ou contrôles).
Opportunités pour les cabinets d'Avocats et DPO externalisés
Le nombre élevé de sanctions pour non-coopération crée une opportunité significative pour les professionnels du droit :
1. Audit de procédures de réponse aux droits : de nombreux défauts de coopération surviennent lors de demandes d’exercice des droits (accès, rectification, opposition). Les cabinets d’avocats peuvent proposer des audits pour s'assurer que les entreprises disposent de mécanismes robustes permettant de traiter ces demandes et, surtout, de répondre correctement aux intermédiaires de la CNIL.
2. Expertise en gestion de crise/contrôle : le défaut de réponse étant sanctionné, les entreprises ont un besoin accru d'expertise pour gérer la relation avec l'autorité. Les cabinets peuvent se positionner comme interlocuteurs privilégiés de la CNIL pour assurer une réponse complète, structurée et dans les délais, facilitant ainsi la tâche de l’autorité et réduisant le risque de sanction.
3. Sensibilisation du management : la sanction d'acteurs variés comme des avocats et des médecins montre que l'obligation de coopération n'épargne aucun secteur réglementé. Les cabinets peuvent jouer un rôle essentiel dans la formation des dirigeants et des équipes juridiques sur l'importance de traiter les sollicitations de la CNIL avec la plus haute priorité.
Conclusion : la coopération est la première ligne de défense
Les récentes sanctions simplifiées de la CNIL, bien que portant sur des montants individuels modérés (la somme totale atteignant 108 000 euros pour 16 décisions), envoient un message clair : l'inaction est sanctionnée sévèrement.
Pour les entreprises, la leçon est opérationnelle : la coopération n’est pas facultative, c’est une obligation légale (Article 18 LIL). Mettre en place des protocoles de réponse rapide et documentée aux demandes de l’autorité est la première ligne de défense pour éviter une amende, même si les pratiques sous-jacentes (telles que le traitement des données de prospects ou la vidéosurveillance) font déjà l'objet d'un examen minutieux.
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Juriste spécialisé en Droit du Numérique.
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